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Série Cryptomonnaies : Les paiements en cryptoactifs à l'export

Astrid Viaud, Docteur en Sciences politiques (UCL), spécialiste des sanctions économiques du Conseil de sécurité des Nations unies, des États-Unis et de l'Union européenne, explique la situation actuelle autour des cryptomonnaies et les avantages que les entreprises ainsi que les individuels peuvent en tirer.

Outil numérique intraçable de développement commercial, les cryptoactifs constituent une technologie innovante permettant aux entreprises qui y recourent de réduire les frais et délais bancaires de leurs transactions. Face à la réglementation croissante, de la part des États et de l’Union européenne[1], et à leur appropriation par les banques, cet instrument pourrait passer de challenger à Maverick, soit une tendance non-conformiste.

Les entreprises européennes, et tout particulièrement les petites et moyennes entreprises (PME) ainsi que les entreprises de taille intermédiaire (ETI) françaises, ont été fortement encouragées par leurs gouvernements à se déployer à l’export pour y chercher les liquidités qu’elles ne trouvaient plus facilement depuis la crise générée par les mesures anti-COVID[2]. Ce faisant, elles ont dû faire face à de multiples difficultés bancaires : frais jugés démesurés, délais inadaptés et sur-conformité. Par exemple, une entreprise française qui importe du cacao pour le transformer se voit souvent confrontée à des frais bancaires considérés comme élevés pour un virement vers la Côte d’Ivoire. Ceux-ci s’expliquent par une part structurelle liée aux frais de la banque mais aussi au réseau local. Ledit virement ne se fera pas sans des délais rallongés et sans multiplication de demandes documentaires. Résultat, le coût du produit brut rogne la marge et les délais perturbent la production. Le canal bancaire classique devient alors un frein conséquent. Cette tendance est particulièrement observable sur des marchés exigeants tels que les secteurs autorisés des pays sous sanctions ou les marchés dit « frontières », c’est-à-dire présentant un fort potentiel commercial mais n’assurant pas encore assez de liquidité et de réseaux financiers fiables.

L’utilisation des cryptoactifs par les entreprises pour ces transactions est en augmentation, « l'Europe [étant] la plus grande crypto-économie au monde, en recevant quelque 1.000 milliards de dollars en crypto-monnaies [en 2020], ce qui représente 25% de l'activité mondiale. Les États-Unis sont la deuxième région en importance, avec 750 milliards de dollars en valeurs reçues, soit 18% »[3]. Un cryptoactif est un actif numérique généré par cryptographie et émis de pair-à-pair au moyen d’un réseau informatique décentralisé. La vérification du solde créditeur, la compensation et la tenue des livres de comptes sont assurés par une multitude de tiers de confiance décentralisés que constituent les ordinateurs. La confirmation de tous est requise pour valider la transaction. L’un de ces tiers reçoit aléatoirement une compensation financière.

Le recours aux cryptoactifs s’avère quasi-instantané, plus sûr et surtout beaucoup moins cher du point de vue des entreprises. Des solutions se dessinent pour maintenir ces avantages en toute conformité avec les stablecoins régulés et promus par les États-Unis ainsi qu’avec les cryptoactifs adossés à la Banque Centrale de Chine. Le risque de volatilité est compensé par ces stablecoins, actifs numériques adossés à 100% de sa valeur par de l’or ou des dollars. La réglementation européenne annoncée (MiCA) semble restrictive malgré la traçabilité que permet la Blockchain, technologie sous-jacente aux cryptoactifs. Les banques, et autres plateformes, s’empressent donc d’intégrer ces produits à leur offre en promettant de garantir la conformité des opérations avec l’enregistrement PSAN de l’Autorité des Marchés Financiers. On a alors avec un Maverick, c’est-à-dire une innovation réelle mais loin de ce qui était espéré initialement.

C’est à ce point d’évolution du marché bancaire et financier que les cryptoactifs prennent une dimension géopolitique décisive. Les cryptoactifs, qu’ils soient indépendants ou émis par une banque centrale, contestent à la fois l’hégémonie du dollar et l’efficacité des sanctions américaines. D’une part, ils offrent une alternative comme réserve de valeur, dans la mesure où le recours à la planche à billets est impossible pour la plupart de ces monnaies,[4] et moyen d’échange, car décentralisée donc peu perméables aux pressions politiques. D’autre part, ces monnaies empêchent les remontées d’information qui permettent aux États-Unis de sanctionner facilement. Washington promeut donc l’usage de stablecoins adossés au dollar et classées comme securities donc encadrés par la Security and Exchange Commission (SEC). Cela renforcerait considérablement la place du dollar. La Chine, à travers notamment le Partenariat Économique Régional Global, soit le plus important accord de libre-échange au monde[5], promeut progressivement l’usage de monnaies locales et surtout les cryptoactifs de banques centrales, capables de contester la place du dollar en gardant un contrôle étatique et la connexion au système bancaire.

L’Union européenne, quant à elle, ne cesse de tergiverser sur l’opportunité d’un e-euro mais semble avoir pris le parti d’une réglementation stricte des cryptoactifs indépendants, au risque d’affaiblir leur utilité. D’autres juridictions, en Afrique notamment, ont fait des progrès considérables vers ces monnaies de banque centrale[6]. Les cryptomonnaies ne représentent qu’une partie des cryptoactifs susceptibles de faciliter les transactions des entreprises françaises (NFT notamment). Ceux-ci forment, avec des instruments innovants comme les smart contrats, l’écosystème de la finance décentralisée. Le potentiel est important pour les entreprises européennes à l’international… si la réglementation à venir accepte d’en tenir compte.

 

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