Accueil > Relation Qatar-Iran-Turquie : un trio d'acteurs régionaux
Malgré la fin de l'embargo saoudien de 2017-2021, les relations Doha-Téhéran se sont maintenues et approfondies. Il en est de même pour celles entre Doha et Ankara[1].
Dans le cas de la Turquie, Ankara a élargi la capacité de sa base militaire à Doha et y a déployé plus de 5 000 soldats[2]. Plusieurs accords de défense ont été signés, comme celui de juin 2021 portant sur l'entraînement des pilotes en Turquie[3]. En mars 2022, au Salon international de la défense maritime de Doha (DIMDEX), le ministère qatari de la Défense et 4 entreprises de défense, dont deux turques, ont signé des accords et contrats portant sur les services et le transfert technologique[4].
De son côté, le Qatar a injecté 15 milliards de dollars dans l'économie turque, y compris au moment où la livre turque était fortement affaiblie (2018)[5]. En 2020, la Turquie a transféré 10 % des actions de la bourse d'Istanbul à l'Autorité d'investissement du Qatar[6]. Ce dernier a acheté pour 1 milliard de dollars le transfert de 42 % des actions de l'un des plus grands centres commerciaux de Turquie, le parc Istinye, situé rue Qatar à Istanbul[7]. Rien qu'en 2020, le total des investissements en provenance du Qatar vers la Turquie a représenté 22 milliards de dollars[8]. En 2021, ce montant est passé à 33.2 milliards $, ce qui fait du Qatar le deuxième plus grand investisseur du pays[9]. Depuis la création du Turkey-Qatar High Strategic Committee en 2014, 80 accords de coopération ont été signés dans maints domaines[10].
De plus, durant l'embargo terrestre, maritime et aérien, Doha a reçu des approvisionnements par avions et navires turcs et iraniens[11]. Rien qu'en juin 2017, outre un premier navire chargé de 4 000 tonnes de nourriture ayant appareillé vers Doha, Ankara avait déjà envoyé au Qatar 105 avions cargo d'aide alimentaire[12]. Parallèlement, Téhéran envoyait quatre avions cargo de nourritures, et prévoyait d'envoyer quotidiennement 100 tonnes de fruits et légumes à Doha pour empêcher une crise alimentaire dans le pays[13]. Enfin, les vols de la compagnie Qatar Airways, une des plus importantes au monde, ont pu contourner l'embargo, transitant désormais par l'Iran et la Turquie[14].
A part le soutien logistique et humanitaire, dans beaucoup de domaines, le Qatar a formé avec Téhéran et Ankara une alliance géopolitique - principalement face à l'Arabie Saoudite[15]. En 2017, peu après la mise en place de l'embargo saoudien, les trois pays ont signé un accord portant sur le commerce et le transport[16]. La fin de l'embargo en 2021, décidée lors du sommet d'Al Ula, n'a pas mis fin à la coopération entre Doha, Ankara et Téhéran[17].
Par exemple, en décembre 2021, Turquie et Qatar se sont mis d'accord pour contrôler et gérer l'aéroport de Kaboul après le retour des talibans au pouvoir en Afghanistan[18]. Les deux pays coopèrent aussi sur la Syrie (contre Al Assad), la Palestine (aide et soutien au Hamas) et la Libye (en faveur du gouvernement de Tripoli)[19]. Turquie et Qatar sont aussi connus pour leurs soutiens aux Frères musulmans, y compris au moment du Printemps arabe (2010-2011)[20].
Dans le cas des relations entre Iran et Qatar, on observe la même continuité des relations bilatérales que dans le cas de la Turquie après l'embargo de 2017-2021. L’une des raisons est la possession partagée du plus grand gisement de gaz au monde (North Dome/South Pars), indispensable à Doha[21]. De plus, étant donné que le Qatar abrite la base américaine d'Al Udeid et craint une attaque éventuelle sur son territoire, le pays cherche à garder un maximum de diplomatie avec Téhéran[22]. D'ailleurs, Doha avait soutenu les accords de Vienne (JCPOA) en 2015[23] et travaille à la désescalade entre Washington et Téhéran, en tant que médiateur[24].
Récemment, les 20-21 février 2022, le président iranien Raisi est arrivé à Doha, pour une visite d'état[25]. À l'occasion de sa première visite dans le Golfe, il signait 14 documents portant sur des accords avec les officiels qataris, en présence de l'émir[26]. Enfin, il assistait au 6ème sommet du Gas Exporting Countries Forum (GECF), qui s'est tenu cette année dans la capitale qatarie[27]. Outre sur l'énergie, les accords irano-qataris sont avant tout centrés sur le commerce et l'économie, ainsi que la culture, l'éducation et les infrastructures[28].
Les enjeux actuels de l'alliance Iran-Turquie-Qatar sont multiples, en raison de la diversité des relations extérieures de ces trois acteurs régionaux. D'abord, la Turquie est dans l'OTAN et comme le Qatar, dispose des bases militaires américaines, à Izmir et à Incirlik. Or, l'Iran a des liens militaires avec la Russie et la Chine, et soutient le régime syrien d'Al Assad[29]. Même dans le conflit ukrainien, l'Iran et la Russie se sont mis d'accord concernant la livraison d'armements (drones) ainsi que sur le gaz et pétrole[30]. De son côté, la Turquie a livré des drones Bayraktar à l'Ukraine[31]. Quant au Qatar, il a juste « appelé toutes les parties à faire preuve de retenue et à résoudre la crise par des moyens diplomatiques »[32]. Il peut néanmoins devenir une source alternative au gaz russe pour l'Europe[33].
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