Accueil > Serbie-Kosovo : toujours en tensions et dans l'impasse
Quatorze années se sont écoulées depuis la proclamation de l'indépendance du 17 février 2008 à Pristina au Kosovo, et la situation reste toujours tendue dans cette partie des Balkans occidentaux[1].
Belgrade refuse de reconnaître l'indépendance de ce qu'il considère comme sa province méridionale[2]. Plusieurs autres états européens, y compris ceux de l'UE et de l'OTAN comme l'Espagne, la Slovaquie, la Roumanie et la Grèce, refusent de reconnaître le Kosovo comme un état indépendant[3]. Chypre, la Bosnie-Herzégovine, les trois pays du Caucase du Sud ainsi que la Moldavie, l'Ukraine, la Biélorussie et la Russie refusent aussi de reconnaître son indépendance[4]. Cette opposition existe toujours, et pour plusieurs raisons telles que les préservations de l'intégration territoriale et des zones d'influence[5].
En outre, la déclaration de l'indépendance s’est inscrite dans un contexte où le Kosovo était ravagé par la guerre (1998-1999) entre les séparatistes albanais de l'UÇK et les autorités yougoslaves, ainsi que par les bombardements de l'OTAN sur la Yougoslavie (mars et juin 1999[6]). Ces deux événements ont laissé des souvenirs encore vifs au sein des populations Kosovares et Serbes[7]. Les États-Unis et leurs alliés européens appuyaient les Albanais, alors que la Russie et la Chine condamnaient les bombardements de l'OTAN[8].
Malgré tout, pour résoudre le conflit serbo-kosovar, l'UE, comme les USA, ont organisé de nombreux sommets avec les représentants serbes et kosovars, qui n'ont toujours pas débouché sur un apaisement total des tensions[9]. Même les accords de Bruxelles en 2013, et ceux de Washington en 2020, n’ont pas aboutis aux résultats escomptés d'une normalisation pleine[10].
De nos jours encore, de nombreuses missions de l'UE, comme EULEX Kosovo, et de l'OTAN, comme le KFOR, restent en place dans le pays, en vue de garantir la stabilité et la sécurité des Balkans[11].
Fin juillet 2022, les décisions frontalières du gouvernement de Pristina, portant sur les plaques minéralogiques et les documents de séjour, avaient débouché sur des protestations au sein de la population serbe au nord du Kosovo[12]. Les barricades posées alors par les Serbes, bloquant les postes-frontières en ces lieux, avaient mis en alerte les forces de l'OTAN[13]. Finalement, c'est suite à l'intervention de l'ambassadeur américain, Jeffrey Honevier, que les décisions de Pristina avaient été reportées, permettant un retour au calme[14].
Tout ceci illustre bien combien les tensions entre la Serbie et le Kosovo ne concernent pas uniquement Albanais et Serbes, mais plusieurs puissances (États-Unis, Union européenne, Russie, Chine) qui répartissent leurs zones d'influences dans les Balkans occidentaux[15].
A l'exception de la Croatie et de la Slovénie, les pays des Balkans occidentaux ne sont pas membres de l'Union européenne[16], tandis que les négociations d'adhésion pour Serbie et Kosovo tournent au ralenti[17]. De plus, les deux États sont, avec la Bosnie-Herzégovine, les seuls dans les Balkans ne pas être membres de l'OTAN[18]. Pourtant, le Kosovo abrite le plus important base militaire de l'Alliance transatlantique : le camp Bondsteel (3.86 km²), capable d'accueillir jusqu'à 7000 hommes[19]. Les forces KFOR comptent plus de 3770 hommes issus de 28 pays[20]. Toutefois, l'OTAN et la Serbie ont approfondi leurs coopérations, y compris sur la sécurité au Kosovo[21].
En parallèle, la Turquie et les pays arabes du Golfe, tout comme la Russie et la Chine, ont accru leurs investissements économiques et culturels, voire énergétiques, dans les Balkans occidentaux (Serbie et Kosovo compris)[22]. Tandis que les États-Unis et leurs alliés soutiennent militairement Pristina (le cas de la création de l'armée kosovare, désapprouvée par les Serbes)[23], Moscou et Pékin livrent Belgrade en matière d'armements[24]. Par exemple, en 2019, la Serbie s'est procurée auprès de la Russie le système sol-air de courte portée Pantsir-S1 (portée de 20 km)[25]. En 2020, la Serbie a obtenu des drones chinois Chengu Pterodactyl-1, « capables d'attaquer des cibles avec des bombes et d'effectuer des tâches de reconnaissance »[26]. Enfin, en avril 2022, six avions Y-20 de l'armée de l'air chinoise transportant des missiles sol-air HQ-22 ont atterri à Belgrade[27].
Même dans le domaine énergétique, le Kosovo se situe en un lieu stratégique, où plusieurs gazoducs, comme le Transadriatique (TAP) et le Balkan Stream, alimentent l'Europe en gaz, traversent la région et font l'objet de rivalités entre l'Union européenne et la Russie[28]. Bruxelles travaille à diversifier ses sources d'approvisionnement en gaz tandis que Moscou cherche à garder ses marchés d'exportation[29]. D'ailleurs, selon Adel El Gammal, Secrétaire général de l’Alliance européenne pour la recherche énergétique (EERA), l’Europe représente 70% des exportations de gaz russe[30]. Concernant la Serbie, 81 % de son gaz et 18 % de son pétrole et de ses dérivés pétroliers sont importés de Russie[31]. À la fin du mois de mai 2022, le gouvernement de Belgrade a obtenu un accord pour la fourniture de gaz russe sur une durée de trois ans[32].
Les luttes d'influence autour des tensions Serbo-Kosovares ne concernent pas uniquement la sécurité et la défense, mais aussi les ressources énergétiques et la protection des zones stratégiques puisque le Kosovo pourrait également devenir un carrefour entre, d’une part la côte adriatique (l’Albanie et le port de Durres) et l’Europe orientale, et d’autre part la mer Égée (la Grèce du nord, le port de Thessalonique) et le cœur de l’Europe centrale[33].
Les conséquences de ces rivalités se font encore sentir, malgré la guerre en Ukraine. Le Kosovo a accru ses efforts pour adhérer à l'UE et à l'OTAN[34], alors que la Serbie, tout en condamnant l'invasion russe de l'Ukraine à l'ONU[35] et accueillant des réfugiés ukrainiens sur son territoire[36], a refusé de rejoindre l'Union européenne dans ses sanctions contre la Russie[37].
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