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Série Cryptomonnaies : La nouvelle réglementation européenne MiCA

Astrid Viaud, Docteur en Sciences politiques (UCL), spécialiste des sanctions économiques du Conseil de sécurité des Nations unies, des États-Unis et de l'Union européenne, explique la nouvelle réglementation européenne MiCA (Markets in Crypto-Assets)

Face à l’essor du recours aux cryptoactifs indépendants par les entreprises européennes de taille petite ou intermédiaire à forte exposition internationale[1], la commission des affaires économiques et monétaires (ECON) du Parlement européen a voté le règlement MiCA (Markets in Crypto-Assets), le 10 octobre 2022. Ce projet a pour principal objectif de fixer un cadre commun à tous les États Membres de l’Union européenne (UE) ayant élaboré leur propre réglementation sur les cryptoactifs. L’Allemagne, la Lituanie, Malte et la France sont les plus avancés. Considérant notamment l’augmentation du nombre des cyberattaques liées aux cryptomonnaies qui passent de « 2,9 % de toutes les cybermenaces signalées en [janvier] 2021, [à] 8,4 % de février à octobre 2021 »[2], les institutions européennes entendent instaurer un cadre réglementaire de protection des consommateurs applicable aux plateformes en cas de perte ou de piratage des actifs des investisseurs.

C’est sans compter sur la volonté européenne de pallier aux risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, pouvant être permis par la non-traçabilité des transactions effectuées dans le cadre d’une finance décentralisée et non adossée aux banques centrales. Les États membres de l’UE restent alignés avec les recommandations 15 et 16 du Groupe d’Action Financière (GAFI) comme par exemple vis-à-vis de la ‘Travel Rule’ sur la transparence quant à l’origine et le bénéficiaire des cryptoactifs. Il n’y a donc pas de différence majeure entre le texte européen et le GAFI sur les points essentiels de la conformité. De même que les prestataires de service dont le siège est basé sur le territoire d’un État tiers considéré « comme étant à haut risque en matière d'activités de lutte contre le blanchiment de capitaux ainsi que sur la liste de l'UE des pays et territoires non coopératifs à des fins fiscales seront tenus de mettre en œuvre des contrôles renforcés conformément au cadre de l'UE »[3].

Entre exigences réglementaires, contrôles et promotion d’une technologie innovante en matière d’investissements, le futur règlement MiCA n’est pas sans susciter les controverses sur l’encouragement ou le frein potentiel au recours de la solution que les cryptoactifs représentent pour les entreprises. D’une part, les plateformes de vente et d’échange de cryptoactifs manifestent quelques craintes quant à l’élaboration d’un cadre réglementaire trop éloigné de la réalité des affaires et du positionnement d’autres juridictions, notamment en Afrique. D’autre part, à l’opposé, le monde de la conformité bancaire appelle les instances de décisions européennes à un contrôle strict. L’accord provisoire auxquels étaient parvenus le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen le 30 juin 2022 faisait l’objet d’un équilibre entre les différentes visions. Or, la fuite d’une version à jour du texte de compromis en septembre 2022 a laissé entrevoir que le projet contenait des dispositions nouvelles qui pourrait freiner l’adoption des cryptomonnaies indépendantes par les entreprises européennes. Le projet finalement adopté, sensiblement différent ne devrait pas rentrer en vigueur avant la fin de l’année 2024. Il dessine d’ores et déjà une vision politique de l’arbitrage entre deux visions de la finance et des perspectives d’appropriation de ce nouvel outil par les entreprises.

En effet, les cryptomonnaies indépendantes peuvent être considérées, par les entreprises, comme étant une solution alternative à la difficulté posée par la sur-conformité des établissements bancaires, qui préfèrent refuser d’opérer, par précaution, des transactions pourtant autorisées face à la complexité du nexus américain et la conflictualité potentielle des régimes de sanctions européens et outre-Atlantique. Désormais, une entreprise peut acheter des cryptomonnaies dites stablecoins, par exemple émises par une société qui stock x grammes d’or ou x dollars par cryptomonnaie pour éviter la volatilité, et les envoyer au destinataire sans passer par une banque. Si les questions de conformité demeurent dans le cadre de la finance décentralisée, la sur-conformité des banques disparaît. Le coût initial de ces vérifications est alors amorti par les économies de frais bancaires. Les transactions deviennent quasi-instantanées alors que plusieurs semaines seraient nécessaires avec une des rares banques qui accepterait de procéder à la transaction. Le recours aux cryptomonnaies offre alors un accès à de nouveaux marchés prometteurs.

Cependant, les bénéfices de l’usage des cryptomonnaies indépendantes pourrait être limités par ces nouvelles dispositions du règlement MicA. En l’état, l’intégration des tokens non fongibles (NFT) et des stablecoins algorithmiques ainsi que la question de la concurrence déloyale de plateformes étrangères, non soumises à MiCA, sont les points les plus problématiques. Ces mesures affectent particulièrement les plateformes européennes, qui procèdent aux paiements et échanges pour les entreprises. Les plateformes sont désormais amenées à renforcer leur conformité, engendrant ainsi des coûts et des délais répercutés. Ainsi des entreprises ayant recours ponctuellement à une plateforme seront-elles dissuadées, l’avantage compétitif de ces plateformes sur les banques n’étant plus aussi attractif. D’autres, qui ont un besoin continu et important, vont continuer à y recourir ou procéder directement à ces transactions, sans plateformes, quitte à investir et former leurs équipes. Enfin, c’est une solution de compromis, certains acteurs économiques peuvent recourir à des plateformes non-européennes, ce qui n’est pas interdit tant qu’il n’y a pas sollicitation active.

Le problème est donc plus profond, la différence croissante entre la réglementation restrictive de l’Union européenne et celle d’autres juridictions plus accommodantes. Le choix même de procéder par un règlement exhaustif, là où les États-Unis veulent réglementer par décisions judiciaires progressives, ne permet pas la flexibilité nécessaire à un secteur innovant. La question se pose alors des enjeux sous-jacents à ce choix. L’Union européenne, à la différence de Washington, envisage de mettre en place une monnaie numérique de banque centrale, le e-euro, lequel est un concurrent pour les cryptomonnaies indépendantes et les stablecoins … une partie de ces derniers devraient être régulés par MiCA.

 

© 2022 Tous droits réservés par BRAUN

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