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Taïwan : un champ de bataille technologique

Alexandra De Sutter clarifies the stakes around Taiwan and what we need to do to keep an advantage against China.

            Taipei (Taïwan), 2-3 août 2022. Une visite surprise de la présidente de la Chambre des représentants du Congrès américain Nancy Pelosi s'est déroulée et la nouvelle retentit à travers l'Asie-Pacifique[1]. Pékin a réagi vivement en déployant dès le 4 août des navires et des avions autour de Taïwan, en guise d'« exercices aéromaritimes d’ampleur », et en incluant des tirs de missiles balistiques[2]. De nombreux drones militaires chinois (BZK-007) sont entrés dans la zone d'identification de défense aérienne (ADIZ) de l'île[3]. Plusieurs avions chinois ont d'ailleurs franchi la ligne médiane du détroit de Taiwan[4]. Rien que le 20 août, le ministère taïwanais de la Défense ont signalé 17 avions de guerre et 5 bâtiments de l'armée chinoise dans les environs de l'île[5]. Toujours, selon le ministère, sept des 17 avions (deux bombardiers Xi'an JH-7, deux Sukhoi-30, deux Shenyang J-11 et un Shaanxi Y-8 anti-sous-marin) ont franchi la ligne médiane séparant la Chine et Taïwan dans le détroit, ou se sont aventurés dans le secteur sud-ouest de la zone d'identification de la défense aérienne (ZIDA) de Taïwan[6]. Selon une base de données élaborée par l’AFP à partir des signalements militaires taïwanais, on a compté quelque 446 incursions aériennes d’avions de guerre chinois à Taïwan en août, et 1.100 depuis le début de l’année[7].

            Toutefois, ces réactions chinoises n'ont rien de nouveau. Depuis l'avènement de la Chine populaire et l'exil de Chiang Kai-Shek à Taïwan en 1949, la question de l'île reste un objet de discorde entre Pékin et Taipei[8]. Le premier considère Taiwan comme sa province, alors que les Taïwanais veulent conserver leur indépendance, à l'opposition du « principe de la Chine unique » (One China principle)[9].

            Ensuite, malgré que les pays occidentaux (à l'exception du Vatican) ne disposent plus d'ambassades à Taipei, ils ont maintenu et accru leurs contacts avec les officiels taïwanais[10].

            Déjà en 1979, malgré la reconnaissance de la Chine populaire par Washington, les États-Unis ont ratifié le Taiwan Relations Act (TRA), à travers lequel ils s’engageaient à fournir des armes à Taïwan en quantités suffisantes pour lui permettre de se défendre en cas d’agression militaire[11], et cet engagement existe encore de nos jours[12]. Les Six Assurances du président Ronald Reagan (1982) caractérisent également l'engagement américain envers Taïwan[13]. Elles consistent : (1) à ne pas définir de date pour la cessation de la livraison d’armements à Taiwan ; (2) à ne pas consulter Pékin sur les ventes d’armes à Taiwan ; (3) à ne pas jouer de rôle de médiateur entre Taipei et Pékin ; (4) à ne pas réviser les termes du TRA ; (5) à ne pas changer sa position sur la question de la souveraineté de Taiwan ; et enfin, (6) à ne pas exercer de pressions sur Taipei pour ouvrir des négociations avec Pékin[14].

            Le 2 septembre, le gouvernement des États-Unis d’Amérique a autorisé trois nouvelles ventes d’armes à Taiwan pour un montant total de 1,1 milliard de dollars américains, qui portent sur un soutien logistique au programme de surveillance radar et les équipements liés, incluant 60 missiles AGM-84L-1 Harpoon Block II, et 100  missiles AIM-9X Sidewinder Block II[15]. Selon le ministère taïwanais des Affaires étrangères, il s'agit de la cinquième annonce de ventes d’armes à Taiwan par l’administration Biden cette année, et de la sixième depuis l’investiture du président américain en janvier 2021[16].

            Outre Pelosi et d'autres parlementaires américains[17], les officiels japonais[18], ainsi que certains représentants européens (lituaniens, tchèques et slovaques) ont aussi effectué des visites récentes à Taipei[19], tout comme les Français récemment (le 7-8 septembre)[20]. Les Canadiens préparent pour octobre 2022 une prochaine visite parlementaire[21]. Pékin voit d'un mauvais œil ces approfondissements de relations[22].

            En effet, en plus de la mer de Chine méridionale (îles Paracels et archipel Spratleys), Pékin revendique plusieurs îles le long de ses côtes orientales : hormis Taïwan figurent également les îles japonaises de Senkaku[23]. Cela provoque une inquiétude de Tokyo voire de Washington, en raison de ses bases militaires situées dans la région (Okinawa au Japon)[24].

            Cependant, Taïwan est l'objet de convoitises à la fois pour Pékin et Washington, non seulement en raison de son endroit stratégique (détroit de Taïwan), mais aussi à cause de son potentiel industriel (usines ultra hi-tech) et son patrimoine technologique (production des semi-conducteurs)[25].

            L’industrie taïwanaise des semi-conducteurs, indispensables à la fabrication de produits de haute technologie (téléphones, avions, panneaux solaires, etc.) et cruciaux pour l’économie mondiale, représente une grande partie de la production mondiale (63 %)[26]. Les usines taïwanaises sont capables de graver à grande échelle des puces avec une précision de 3 nanomètres (3 millionièmes de millimètre), qui sont vendues dans le monde entier et équipent nos voitures, trains, avions, réfrigérateurs, téléphones (90% des dernières générations de smartphones, toutes marques confondues).[27] Qu'elles soient asiatiques, européennes ou américaines, les plus grandes marques sont devenues ultra-dépendantes de ces semi-conducteurs taïwanais[28]. Les semi-conducteurs les plus avancés sont en grande partie fabriqués par la Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) (numéro un mondial des semi-conducteurs)[29]

            Foxconn, une des entreprises technologiques les plus importantes de Taïwan, est le principal fournisseur en électronique d'Apple et assemble ses iPhone[30]. Également le premier employeur privé de Chine, Foxconn subit des pressions de la part des autorités taïwanaises pour renoncer à un investissement de 800 millions de dollars dans la société chinoise Tsinghua Unigroup, qui fabrique des puces électroniques[31]. Derrière ces pressions se trouve une crainte des autorités de voir une entreprise chinoise renforcée qui aidera la Chine à atteindre ses ambitions technologiques dans sa lutte à distance avec les États-Unis, d'autant plus que la société d'investissement chinoise WiseRoad Capital, ayant des liens étroits avec le gouvernement de Pékin, est nommée dans l'accord d'investissements à côté de Foxconn[32]. D'ailleurs, les États-Unis cherchent à réduire leur dépendance de la Chine, et début août 2022, Joe Biden a signé une loi intitulée CHIPS and Science Act, qui débloque 52 milliards de dollars de subventions pour relancer la production de semi-conducteurs aux États-Unis[33].

            En plus d'être leader mondial en production de puces (ou semi-conducteurs), Taïwan reste aussi un endroit stratégique que Pékin cherche toujours à contrôler : le détroit de Taiwan, ayant 130 km de large entre la République populaire de Chine et l’île de Taïwan, désigne aussi une importante route commerciale entre la mer de Chine du Sud et celle de l’Est[34], principalement pour les navires de marchandises reliant la Chine, le Japon, la Corée du Sud et Taïwan à l'Occident[35].  Selon les données compilées par Bloomberg, près de la moitié de la flotte mondiale de conteneurs, soit 48 % des 5 400 porte-conteneurs opérationnels dans le monde, et 88% des plus gros navires du monde en tonnage ont transité par ce détroit cette année[36].

            L'île possède encore l’avantage d’offrir sur ses côtes orientales un accès direct à l’océan profond, ce qui permettrait à la Chine de construire une nouvelle base de sous-marins lanceurs d’engins (SNLE) et de se rapprocher des côtes américaines[37].

            Néanmoins, malgré les menaces d'une guerre ouverte, les acteurs économiques et politiques travaillent à éviter une escalade par crainte d'une paralysie de l'économie mondiale[38]. Cependant, pour garantir la sécurité et la stabilité de l'approvisionnement ainsi que répondre à l'influence chinoise, l'initiative Indo-Pacific Economic Framework a vu le jour, lors de la visite de Biden au Japon en mai dernier, et un sommet réunissant 14 pays (En plus des USA et du Japon, l'Australie, le Brunei, les Fidji, l'Inde, l'Indonésie, la Malaisie, la Nouvelle-Zélande, les Philippines, Singapour, la Corée du Sud, la Thaïlande et le Vietnam) a débuté le 8 septembre à Los Angeles[39].

            Enfin, l'éventuelle rencontre des présidents américain Joe Biden et chinois Xi Jinping, dans le cadre du G20 à Bali (Indonésie) en novembre 2022[40], pourrait nous éclairer davantage sur le destin de Taïwan, voire celui de l'Asie-Pacifique, dans les années à venir...

© 2022 Tous droits réservés par BRAUN

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