Accueil > La Grande-Bretagne, les États-Unis et l'Australie, unis au détriment de l'Europe ?
Deux semaines auparavant, à Washington DC, le président Joe Biden, en compagnie de ses homologues britannique Boris Johnson et australien Scott Morrison, présentait le partenariat de défense trilatéral AUKUS «en matière de sécurité, de cyberdéfense, d'intelligence artificielle et de technologies quantiques destiné à contrer l'influence de la Chine»[1]. Outre que de «souder les alliés et partenaires actuels de l'Amérique» en Atlantique et au Pacifique (Joe Biden), il s'agit ici de «travailler main dans la main pour préserver la sécurité et la stabilité dans la zone Indo-Pacifique», ainsi que «d'aider l'Australie à acquérir une flotte de sous-marins à propulsion nucléaire» (Boris Johnson)[2]. De son côté, Scott Morrison précisera le lieu de construction des sous-marins (Adélaïde, Australie) en collaboration avec les Britanniques et les Américains, et rappellera que «l'Australie ne cherche pas à acquérir des armes nucléaires ou à se doter d'une capacité nucléaire civile»[3].
À l'instar de la Chine, la France a fait part de sa colère suite à l'annonce de ce partenariat, et son mécontentement s'est répandu comme une traînée de poudre à échelle européenne. Effectivement, en 2016, l'Australie avait signé un contrat avec l'industrie navale française pour acquérir 12 sous-marins à propulsion conventionnels[4]. L'annonce du partenariat AUKUS avait causé l'annulation du contrat australien avec la France, causant une perte de 56 milliards d'euros pour celle-ci[5]. Plusieurs pays d'Europe faisaient déjà part de leurs inquiétudes concernant leurs places en tant qu'alliés des États-Unis dans le cadre de l'OTAN, en travaillant sur une autonomie stratégique approfondie[6]. La France tenait à rappeler son rôle et sa présence dans l'Indopacifique, notamment auprès du président Biden et du Premier ministre australien Morrison, voire auprès de leurs partenaires comme le Premier ministre indien Narendra Modi[7].
Même l'Union européenne faisait part de ses préoccupations, d'autant plus que l’annonce de la création de l’AUKUS s'est produit la veille de la présentation à Bruxelles de la stratégie indopacifique de l’Union européenne (UE)[8].
Toutefois, en observant de près le contenu et le contexte du partenariat AUKUS, on constate en l'occurrence qu'il ne s'agit que d'une continuité des relations entre les USA, la Grande-Bretagne et l'Australie. Il faut rappeler que les trois pays sont liés par de nombreux autres accords de sécurité et de défense, dont celui des "Five Eyes" incluant également le Canada et la Nouvelle-Zélande[9]. De plus, la Grande-Bretagne travaille à accroître sa présence dans le monde, dans le cadre du «Global Britain», et son adhésion au partenariat AUKUS montre déjà un succès géopolitique pour Londres[10]. Le partenariat AUKUS s'est surtout produit au détriment de la France, qui disposait aussi d'une stratégie de partenariat pour la zone indopacifique (axe Paris-New Delhi-Canberra)[11].
Comme les USA, la Grande-Bretagne et l'Australie, l'Union européenne reste engagée dans la zone indopacifique mais dans le domaine économique. La stratégie européenne repose sur plusieurs projets qui portent notamment sur des accords de libre-échange avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Indonésie, ou encore des accords de partenariat avec la Malaisie et la Thaïlande[12]. Les Européens veulent aussi s'implanter dans l'Indopacifique à travers d'autres partenariats, qui concernent la gestion des océans, le numérique, le changement climatique, ainsi que la recherche et la santé[13]. Effectivement, la région représente pour l'Europe «12 000 milliards d’euros d’investissements annuels, soit le double des États-Unis», et désigne «le deuxième marché des exportations de l’Union européenne»[14]. Comme Josep Borell le souligne, tout en négligeant pas le domaine sécuritaire, l'«autonomie stratégique européenne» demeure principalement économique[15]. Dans le domaine de la défense, les pays membres de l'UE restent divisés, notamment pour maintenir leurs relations vitales avec les États-Unis[16].
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